Tuesday, May 8, 2018

Charles Robert Maturin, « Melmoth ou l’homme errant »

 – e-book


Lu du 3 avril au 7 mai 2018

Mon vote :



Ceux qui connaissent l’habitude que je me suis faite depuis longtemps de lire un livre dans la langue dans laquelle il a été écrit (à condition que je la connaisse, bien-sûr), ou, sinon, dans la traduction roumaine, seront peut-être étonnés de voir ma critique du roman de Charles Robert Maturin en français. Mais (et c’est la deuxième fois que cela m’arrive, après Le prophète de Khalil Gibran ) quand je l’ai commencé, j’étais convaincue que je lisais dans la bonne langue, je ne sais pas pourquoi (peut-être parce que j’avais déjà le e-book comme ça et de plus je me souvenais que Balzac avait écrit une suite à ce roman). 

En tout cas, même si je me suis rendu compte après les premières pages de mon erreur, j’ai continué la lecture parce que la traduction m’a paru vraiment bonne et j’ai considéré qu’il ne valait pas la peine de chercher l’original anglais – que j’aurais probablement trouvé sans trop de difficultés, étant donné qu’il s’agit d’une œuvre du début du XIXe siècle. 


Je dois reconnaître je n’aurais pas fait cette erreur quand même si j’avais eu idée de qui est l’auteur, mon ignorance étant nourrie par le fait qu’il est à peu près tombé dans l’oubli, ce que je trouve, après l’avoir lu, qu’il est vraiment dommage, non seulement parce qu’on pourrait à peine trouver un meilleur représentant du romantisme gothique, mais aussi parce que son récit a inspiré l’œuvre de quelques  grands écrivains du XIXe et XXe siècle, parmi lesquels Baudelaire, Balzac, Lautréamont, André Breton, Nabokov (vous vous rappelez la voiture de Humbert Humbert nommée Melmoth ?) et last but not least Oscar Wilde, dont il a été le grand-oncle, par alliance, il est vrai. 

Comme je disais tout à l’heure Melmoth ou l’homme errantest l’exemple parfait de ce qui a constitué l’idéal artistique du romantisme, dont il illustre presque toutes les caractéristiques  qu’on a appris à l’école, sans devenir pour cela une œuvre avec thèse (comme L’art poétiquede Boileau par exemple). 

Centré sur le thème faustien de l’âme damnée, le roman se construit autour d’un personnage mystérieux, Melmoth – héros-antihéros, exceptionnel en circonstances exceptionnelles, hantant la géographie des esprits et des pays, tragique dans son immortalité qu’il a gagné dans un pacte avec le diable et à laquelle il ne peut s’échapper ni même par l’amour pur qu’éprouve pour lui Imalie, et qui touche parfois à son cœur. 

Il faut bien que je rie, puisque je ne saurais pleurer, dit Melmoth en fixant sur elle ses yeux secs et brûlants que le clair de lune rendait plus visible. Il y a longtemps que la source des larmes est tarie en moi, comme celle de tout autre bonheur humain.

La mission de Melmoth, convaincre les gens à faire le même pacte que lui pour changer de place, le porte dans divers endroits du monde, ce qui donne l’occasion au(x) narrateur(s) de présenter plusieurs scènes dénonçant les fausses valeurs que promeuvent la famille, l’église, la société. Les plus terrifiantes sont celles présentées dans l’histoire de Moncada, qui donne une idée de la terrible influence que l’église catholique avait dans la famille et la société, transformant les gens en marionnettes avec la simple menace de la punition divine pour des pêchés plutôt imaginaires, comme dans le cas de la mère de Moncada, qui, même si est maintenant mariée avec le père du jeune espagnol, est convaincue par le prêtre de la famille que son fils aîné doit devenir moine pour laver le pêché d’être né bâtard. Dans un moment de faiblesse, Moncada cède au chantage sentimental de sa mère et accepte de prêter serment, se trouvant par après dans une situation sans espoir, malgré les efforts surhumains de son frère de l’en faire sortir. Les abus hallucinants des moines, encouragés par leur supérieur, les lois draconiennes influencées par l’Inquisition font la partie la plus troublante du roman, surtout à cause de leurs accents vrais :

— Et c'est cela, alors, la vie monastique ?

— C'est cela ; à deux exceptions près : pour ceux qui, par l'imagination, peuvent renouveler chaque jour l'espoir de s'échapper et chérissent cet espoir jusqu'à leur lit de mort ; pour ceux qui, comme moi, diminuent leur misère en la divisant et, semblables à l'araignée, se soulagent du poison dont ils sont gonflés en en instillant une goutte à chaque insecte qui, comme vous, peine et agonise dans leur toile.

Une autre caractéristique du romantisme a été le retour à la nature, non plus considérée seulement le cadre de l’action comme dans le classicisme, mais mise en communion étroite avec l’âme. Il n’est pas  par hasard que le personnage le plus pur, le contraste absolu de Melmoth soit Imalie, qui a grandi toute seule sur une île déserte, dans un paradis tropical :

C’est alors que j’existe de nouveau au milieu des fleurs et des parfums. J’entends la musique des airs et des ruisseaux. Tout vit et tout aime autour de moi. Mes pas sont jonchés de fleurs, et l’onde pure vient encore baiser mes pieds !

Par contre, des éléments gothiques sont utilisés pour décrire l’atmosphère dans les bâtiments construits par l’homme, qui sont froids et sinistres : châteaux hantés, monastères avec des cachots horribles, ruines et prisons où le bras long de l’Inquisition a jeté les pauvres malheureux qu’elle torture au nom du Dieu sans peur de devoir justifier ses actions :

Vous n'ignorez pas sans doute, Monsieur, que le pouvoir de l'Inquisition, semblable à celui de la mort, vous sépare, par un simple attouchement, de toutes les relations que vous pouviez avoir avec le monde. Du moment où sa main vous a saisi, toutes les mains humaines se détachent de la vôtre. Vous n'avez plus ni père, ni mère, ni sœur, ni enfant. 

Enfin, l’ambition du romantisme de briser les canons formels des genres littéraires, est brillamment accomplie ici, le roman y étant innovateur, avec sa structure très complexe qui combine à la perfection plusieurs techniques narratives rencontrés d’habitude séparément : l’analepse, la mise en abîme, le récit encadré non suivant le modèle du Décaméron mais plutôt celui des poupées rousses, les motifs du manuscrit (celui trouvé par le premier narrateur contenant l’histoire très fragmentée – faute du souci de l’authenticité – de Stanton et celui du manuscrit à recopier par Moncada et qui contient l’histoire de la famille Walberg et l’histoire des amoureux  Elinor et John Sandel), la multiplicité des voix narratives, etc.


Il y avait un temps, dans mon éloignée jeunesse, où je cherchais surtout des histoires de ce genre, car le mystère gothique me fascinait. Que j’aurais savouré ce roman si même aujourd’hui je l’ai lu avec un tel plaisir ! Honnêtement, parfois la mémoire littéraire est très injuste !

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